lundi 29 novembre 2010

l'expo Basquiat

Retour au Musée d'art moderne de la ville de Paris, pour y voir la rétrospective sur Basquiat.
Les oeuvres sont superbes, bien accrochées dans un espace assez vaste pour qu'on ait du champ pour les contempler. Compositions complexes, plans disjoints en quadrillages intuitifs, peinture automatique, écriture cryptique, répétitive, incantatoire, référence à l'art de l'Afrique noire, de la rue, des médiums de masse, (dits aussi mass media) ; sur des surfaces unies des traits vifs, parfois complexes, souvent précis, déclinant des harmonies de couleurs fortes, acidulées plutôt que ternes ; tons expressifs et formes stylisées, rappelant la pub, la bédé, les dessins d'enfants, loin de toute sophistication technique. Supports divers, toiles, papiers, bois, objets divers, jusqu'au triste frigo vide, debout seul dans un angle blanc. Admiré, adulé, pas branché, tiède, embaumé.
Il y a du monde autour des oeuvres, à contempler quelques instants chaque partie de ce-qui-a-été-désigné-à-voir, selon le rite accompli des fidèles du bon goût, ces mêmes fidèles qui approuvent qu'on évacue les squats d'artistes à côté de chez eux, sous prétexte que ceux et celles-ci font du bruit et dégradent, c'est-à-dire peignent, les murs nus du voisinage.

L'expo est victime de son succès médiatique et de la foultitude excessive qu'elle provoque. D'une part parce qu'on ne peut pas regarder les oeuvres comme on le voudrait, le commun des visiteur/euses s'attendant à ce qu'on marche au pas de course, comme toutE unE chacunE. D'autre part parce qu'on peut encore moins dessiner ou étudier en détail et en profondeur ces originaux dont les reproductions, disponibles à la librairie du musée, trahissent format, facture, texture, volume et originalité. Les autres visiteurs/euses scrutent vos croquis d'un oeil inquisiteur, les gardienNEs se demandent soudain s'il ne faudrait pas une autorisation spéciale, et moi, je me demande à quoi sert l'espace du musée si ce n'est pas pour permettre la transmission d'un savoir non seulement à des spectateurs/trices, mais surtout à d'autres artistes qui pratiquent le dessin, la peinture, la sculpture, etc.



Le musée n'est-il que l'espace où l'exposition est rentabilisée financièrement? sans compter les produits dérivés, l'entrée est une source de revenus substantiels. Et pas question de rentrer dans l'expo si on a eu le malheur d'en sortir, par exemple pour se soulager la vessie, puisqu'il n'y a pas de toilettes dans l'espace d'exposition (contrairement à l'expo sur Larry Clarke, dans l'autre aile du bâtiment.) Donc soit l'art relève du pur esprit, les contingences corporelles n'y ont nul droit de cité, soit on est censéE parcourir l'expo en un temps limité, comme dans un des non-lieux théorisés par Marc Augé, ceux dans lesquels on ne peut pas s'arrêter mais simplement passer, ceux où il faut toujours être en mesure de justifier sa présence et son innocence.
La gardienne auprès de qui je proteste, et qui ne fait que retranscrire des ordres auxquels elle se conforme : "est-ce que vous pouvez rentrer dans une salle de cinéma après en être sortie?" Peut-on comparer le cinéma, art temporel, à la peinture, art spatial? Amalgame, quand tu nous tiens...
A sa décharge, ayant acheté mon billet en ligne, je n'avais pas sa contremarque ; et les ordres des directeurs sont que les gardienNEs déchirent systématiquement ces billets achetés sur internet. Sinon légal, le procédé n'est pas juste puisque seulEs les internautes sont pénaliséEs. Bon à savoir à l'avenir : ne jamais rien donner aux gardienNEs de musées (et autres zozos en uniforme) qu'ils/elles ne puissent vous rendre.
Les grands musées des capitales sont victimes de ce travers lié au fétichisme des oeuvres consacrées de l'histoire de l'art. Le British Museum et le National Gallery de Londres comme les autres. Mais leurs expos permanentes sont gratuites, elles. Quant aux expos temporaires, ne vaudrait-il pas mieux les tenir dans des lieux mieux adaptés à l'affluence attendue? de même que des quartiers à haute densité devraient être pourvus d'infrastructures mieux adaptées aux besoins de leur population?
Peut-être est-ce trop demander dans nos sociétés où institutions et infrastructures publiques sont systématiquement annexées au profit des intérêts privés de quelques-unEs, que l'extérieur de leur tour d'ivoire ne concerne en rien.

mardi 9 novembre 2010

Musée d'art moderne : le site-escargot

Je vous recommande le site web du musée d'art moderne de la ville de Paris (où se trouve l'expo Basquiat). Il y a plus d'attente pour se procurer un billet en ligne que devant le musée pour en acheter un au guichet. Soit plus d'une heure. L'avantage du site, c'est qu'on peut différer son attente. S'il pleut mercredi prochain, quand j'irai à l'expo avec mes potes, nous entrerons directement au chaud plutôt que de jouer les escargots qui chantent sous le crachin. Quant à ceux et celles qui préfèrent prendre racine devant les superbes murs de l'avenue Marceau, ils auront toujours la liberté d'émuler le maître dont ils vont contempler les oeuvres, en graffitant joyeux/ses des escargots sur le trottoir ; mais à la peinture à l'huile, alors ;)

Brunes/blondes à la cinémathèque française : mieux vaut aller au cinéma!


Je suis allée voir l'expo brunes/blondes au musée du cinéma.
Dans le genre cinéma, Rhââh, lovely, dirait Gottlieb.
Le parti pris d'Alain Bergala, le commissaire de l'expo, est de faire rêver : couvertures de magazines rétros, avec des stars jeunes, jolies, bien habillées et bien coiffées, blanches, très légèrement subversives, un rien libérées, et pour les plus osées un rien lesbiennes, comme au cinéma d'Hollywood revisité par une agence de pub qui vous facturera très cher un plan marketing ambitieux qui vous fera rêver, vos clients et vous.
Mais de faire rêver qui? Car qui êtes vous, destinataire de cette exposition? Un homme, blanc, assez bien établi pour apprécier l'esthétique et les belles créatures des studios Fox, MGM et consorts ; assez à l'aise avec vous-même et vos moyen pour prendre le temps d'un fantasme pendant vos heures âprement méritées de loisirs parisiens. Pas une seconde la couleur de vos propres cheveux n'est mise en question ; il ne s'agit pas de vous ici, mais de vous transporter dans une autre dimension, au royaume lénifiant de la poudre aux yeux et de la béatitude fétichiste.
Le strass noyant le stress, vous oubliez vos pellicules et votre calvitie, et dansent les toisons devant vos yeux émerveillés. Vous oubliez le cinéma réaliste, les dimensions du cheveu qui n'ont aucune chance d'être montrés ici. Les femmes tondues de l'après-occupation allemande, telles que les aurait montrées un émule français de Rossellini ;
les femmes que la chimiothérapie a rendues chauves, et qui sont les premières utilisatrices de perruques tout en relief et en couleurs ;
les femmes aux cheveux blancs, aux cheveux gris, les Madame Rosa et les Maud d'Harold et Maud ;
etc.
Tout au plus apercevra-t-on quelques personnages à l'identité sexuelle ambiguë ; à l'engagement féministe faisant un contrepoint ponctuel à la part majeure de l'expo ; à la construction du mythe de la blonde par le corps politique et social, dans le contexte des années 40 en Allemagne et aux Etats-Unis. Là, on touche l'aspect le plus intéressant de l'expo. Le plus intéressant bien que pas le plus visible. C'est dans une minuscule salle de projection tout à la fin de l'expo que la part la plus déterminée du public assiste à des courts-métrages d'auteurs (pas d'autrice, ou peu) développant le thème du cheveu dans la société contemporaine.
Comment couvrir les cheveux d'une femme mariée s'oppose au déploiement des poils corporels d'un homme, marié ou pas ;
comment des jeunes filles sont conscientes du poids de leur chevelure dans la nécessité déjà indiscutable à leurs yeux d'être belles ;
comment porter la voile en public n'oblitère en rien le déploiement d'apanages de séduction féminine dans l'espace privé ;
etc.
Comme au cinéma, c'est entre les lignes que se donne à extraire la substantifique moelle.
Il faudra que j'en parle à mon coiffeur.
(photo tirée de rue89)

samedi 6 novembre 2010

Larry Clark, l'expo et l'homme.

Larry Clarke. Une star. Sulfureuse. Terriblement post-moderne. Pensez: des photos vieilles de cinquante ans, des photos où il a filmé ses potes ados, dans le fin fond des Etats-U, faire ce que font tant d'ados à cinquante mètres d'ici, dans la France profonde et dans le trou du cul de l'univers que chacunE revendique êtr e SON bled, sexe, drogue, rock'n'roll, sont actuellement censurées par un comité de moralité publique, au nom de la défense morale des adolescents.
Un comble.
Cachez cette bite, cette shooteuse, cette merde que je ne saurais voir!

Du coup, le message change de perspective. Ces ados défoncés, nus, baisant, dans la plus grande banalité de ces actes qui, non dramatisés par la fiction photo ou cinéma, sont platement banaux, que sont-ils pour les plus de 18 ans? des erreurs de jeunesse? des djeun's qui choquent? qui excitent? qui bousculent? Dans Charlie H, on ironise sur le fait que l'expo est ouverte aux pédophiles de 70 et plus. Arh, arh, arh! Bonne remarque, il y a de quoi prendre son pied en matant la vidéo où, c'est frais, un couple hétéro s'approche et finit par baiser, sans les chichis voyeuristes du porno.

N'y a-t-il donc rien ici que les moins de 18 ans puissent voir, comprendre, apprécier, critiquer, identifier à soi, se distancier de? Me saute à la gueule le hiatus déjà constaté alentour entre la soi-disant "protection" des mineurEs de moins de 18 ans et la responsabilité légale abaissée à 13 pour ce qui relève de la "délinquance" à deux balles. Je crois que je vais offrir le catalogue de l'expo à la première personne mineure que je trouve sur mon chemin,rien que pour qu'elle fasse tourner la carotte. (vous ne connaissez pas encore la blague de la carotte, tout godemiché (forgive my French) mis à part? Je la raconterai un jour de vide existentiel)

L'expo était chouette, un peu sur-accrochée (-mais c'est une rétrospective! - mais ça empêche de voir les photos de loin!) et il y avait un (jeune!) partisan de l'ordre moral pour nous prendre à partie, mes deux copAinEs et moi, et nous demander s'il y avait encore à notre époque, des choses qui choquent. Comme si c'était fini - mais il est devenu cramoisi à l'idée qu'on montre notre poitrine à tout le monde. Comme si à notre époque toute déviation à la pensée unique constituait une telle offense à la pensée qu'il fallait mettre des cagoule porales et protectices sur la tête d'un public-autruche que des "milieux autorisés" (mais par qui, hein?) pourraient guider au nom d'une raison technologiquement supérieure. Il se faisait l'avocat du diable raciste et fasciste, recueillait notre parole poliment et attentivement, à peine polémiquement, comme pour le principe, comme si il s'emmerdait aussi royalement que le bleu de son caban et qu'il ne tenait pas tant à ses arguments qu'à la captation de notre attention encore une, allez deux minutes encore.

Une question qui est revenue dans de nombreuses conversations chez mes proches, était: mais est-il gay ce Larry Clarke? C'est vrai: il ne semble intéressé que par les hommes, leur corps, leur sensualité, il n'y en a que pour eux, dans des poses qui sont celles de l'imagerie pédée de notre époque, avec des aines, des aisselles, des commissures et des ceintures d'Apollon en voilà-en veux-tu... Il est pédé, ce n'est pas possible...

Eh bien, pas possible de trouver des infos sur le net à ce sujet, et je ne suis pas encore allée hanter des bibliothèques spécialisées sur le sujet de l'art contemporain (Beaubourg, attends-moi). On ne parle que de ses oeuvres, pas du mec. Et l'oeuvre est un puits à projection. En cela, elle est d'une puissance telle qu'on peut la contempler des jours, des mois, des années entières sans l'épuiser pour un sou.

Si vous avez des infos, envoyez-moi un commentaire!...

mercredi 3 novembre 2010

Marie-Luz et la bière pasteurisée


Les 1er et 2 novembre derniers s'est tenu le 22ème festival de cinéma lesbien, "Quand les lesbiennes se font du cinéma".
C'était à l'espace Reuilly, vers la rue Montgallet, bien connue des geeeks, hackers et autres nerds. Un quartier riant dès la tombée de la nuit : pas un chat dans les rues blêmes, au point que les quatre agents d'une société de sécurité privée qui passaient en voiture vers 22h30 ce mardi-là n'en croyaient pas leurs yeux de voir une cinquantaine de femmes au coin du pâté de maison. Ils ont fait marche arrière, nous ont maté comme des mulets dans leur aquarium, et il leur a fallu trois bonnes minutes pour être sûrs qu'il ne s'agissait pas d'une émeute urbaine.

C'était un festival minimaliste : pas de concert, ni d'exposition, de remise de prix, et encore moins d'animations informelles. Juste le stand de la librairie Violette and co et celui des tee-shirts de Sarah Calas. Et des postes vidéos, avec des films accessibles en libre-service. Dans le genre minimaliste, ça, c'était une bonne idée.

J'ai un esprit positif, je retiens plutôt les bonnes surprises que les mauvaises. Le docu sur les jumelles Topps, deux chanteuses néo-zélandaises, jumelles, lesbiennes, humoristes et activistes, irrésistibles! Il faut que j'en parle à ma Sydney Connection. La séance sur et avec des docus de Carole Roussopoulos était aussi importante, en tant que défense de la vidéo comme genre filmique investi et à investir par le féminisme, par opposition au cinéma. Faut-il le rappeler, le premier long-métrage jamais fait au cinéma avait pour auteur, auteure, autrice (rayer la mention inutile) Alice Guy, avant que tombe la chappe d'une hégémonie masculine encore actuelle. Quant à la vidéo, beaucoup moins codifiée, jugulée par des intérêts commerciaux, elle est beaucoup moins sexée. C'est ainsi qu'on a fait connaissance avec le personnage de Marie-Luz, militante féministe dans des manifestations àde lutte politique à Hendaye en 1974. Mesdames et Mesdames, à vos caméras!

Quelques trucs qui m'ont fait de hurler à soupirer d'impuissance :
Ces faux ongles super-longs dans une scène de drague entre femmes au cours du générique des séances. Le détail qui tue.
Le fait que la discussion sur Michèle Causse, passionnante au demeurant, a été organisée, faute de mieux, dans un coin du rez-de-chaussée, ce qui rendait son audition difficile étant donné le brouhaha dans le foyer-bar du niveau -1, bien qu'on demande toutes les 5 minutes aux femmes dans ledit foyer de se taire, à grands renforts de chhhhuttttt qui pétaient un peu les ambiances du rez-de-chaussée comme du sous-sol. Une gageure dont les intervenantes se sont bien sorties, en poussant un peu la voix.
La nullité du long-métrage de clôture, Elena Undone, qui a finalement été une source de joie, la salle réagissant avec humour et entrain aux apquets de mélasse et de mièvrerie d'un scénario qui aurait pu être celui d'un court. On y a vu l'épouse d'un pasteur-buveur-de-bière tomber follement amoureuse d'une écrivaine lesbienne mais ne pas quitter son odieux larbin-de-dieu pour elle afin de ne pas heurter son fifils pourtant adulte (ou alors il fait plus que son âge?!) qui lui demande "comment veux-tu que papa comprenne que sa femme couche avec l'ennemi?" Je vous le demande... Contrairement à la Marie-Luz (Marielmière pour les non-hispanophones) de la manif d'Hendaye, cette pauvre Etazunienne qui s'est laissé pasteuriser représente un archétype affligeant qu'on pourrait appeler de Marie-Loose (Marie-qui-perd pour les non-anglophones), encore beaucoup trop fréquent de nos jours, et contre lequel luttent toutes les Marie-Luz de la terre.

Photo extraite du site : http://www.profencampagne.com/